Lorsque vous entrez dans une librairie française, une chose frappe : la simplicité, voire la « fadeur », des couvertures de romans. Du blanc, du crème, un peu de rouge ou de bleu où l’illustration se fait rare. Cette esthétique minimaliste, incarnée par la célèbre Collection Blanche de Gallimard, est souvent perçue comme un manque d'effort par nos homologues anglo-saxons.
Mais loin d'être un signe de pauvreté graphique, cette sobriété est une tradition profondément ancrée, une stratégie publicitaire subtile et un marqueur d'élitisme culturel à la française.
Une tradition ancrée dans le « bon goût »
L'histoire de cette préférence graphique remonte au début du XXe siècle. L'emblématique Collection Blanche de Gallimard, lancée en 1911, a établi un code qui a inspiré de nombreuses autres maisons d'édition :
- Fond crème (pas tout à fait blanc !)
- Lettrage rouge et noir
- Deux légers filets discrets
Collection blanche de Gallimard
Ce design épuré est rapidement devenu un gage de sérieux et d'élégance. Dans la culture française, la sobriété rime souvent avec le bon goût et le luxe discret. L'idée est que l'éditeur fait confiance à la qualité intrinsèque du texte pour se vendre, sans avoir besoin d'artifices mercantiles pour attirer le regard.
L'élitisme et le « degré zéro » du graphisme
Cette approche est une forme d’élitisme qui cherche à distinguer la « Grande Littérature » des genres considérés comme plus populaires (polar, SF, romans de gare, best-sellers). Ces derniers sont les seuls à traditionnellement bénéficier d'une couverture très illustrée.
Comme le souligne le théoricien de la littérature Gérard Genette, ce blanc est un « degré zéro » ou une « puissance symbolique ».
Ce n'est pas une absence de signe, mais un signe par l'absence.
Une stratégie publicitaire minimaliste
Paradoxalement, ce minimalisme est devenu une puissante image de marque. La stratégie derrière le style épuré est de mettre en avant le nom de l’auteur et le titre de l’ouvrage. Ces deux éléments sont mis en évidence, sans la distraction d'une illustration. La valeur réside alors dans l'œuvre elle-même, et non dans son emballage.
L'évolution : quand le minimalisme cède du terrain
Bien que la tradition soit forte, le paysage est en train de changer. Plusieurs facteurs poussent les éditeurs français à rendre leurs couvertures plus visuelles :
L'impact des ventes en ligne :
Sur les plateformes de vente en ligne, les livres sont réduits à de petites vignettes. Une touche de couleur ou une image forte permet au livre de « mieux apparaître » sur l'écran.
Le succès des petites maisons :
Les jeunes maisons d'édition ont tout intérêt à se démarquer. Elles font de plus en plus appel à des graphistes et illustrateurs, leur laissant une « carte blanche » pour créer des visuels très inventifs.
Editions de L’arbre vengeur
L'influence étrangère :
L'exemple le plus notable est celui de la maison Zulma, qui dit avoir triplé ses ventes après avoir recruté l'illustrateur britannique David Pearson (spécialiste de la typographie chez Penguin Books).
Editions Zulma
C’est un terrain de jeu pour les artistes, les graphistes, mais aussi les amateurs de DIY. Il existe des boutiques spécialisées en création d’ex-libris sur mesure et vous trouverez aussi des tampons personnalisables tout prêts.
Un pont entre tradition et modernité
En conclusion, si la couverture française est encore souvent perçue comme « fade », c'est qu'elle porte le poids d'une histoire élitiste et d'une conviction que la littérature n'a pas besoin de crier pour se faire entendre. Mais face à la concurrence numérique et à l'envie d'affirmer l'objet-livre, le minimalisme français est doucement en train de se colorer et de s'illustrer.
Source : vidéo « Pourquoi les couvertures de livres françaises sont si fades » (France Culture)
Photo couverture : Shiromani Kant sur @unsplash.com
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